Des pas dans le brouillard : Empoisonneur et gentleman


Des pas dans le brouillard - Film d'Arthur Lubin, 1955

La carrière anglaise de Stewart Granger comporte plusieurs beaux mélodrames, aujourd’hui injustement oubliés, tant sa carrière hollywoodienne nous a laissé l’image du bel aventurier aux tempes argentées des Mines du Roi Salomon et du Prisonnier de Zenda. Au fil d’un grand nombre de westerns et de films d’aventures, il incarnera l’aventurier séducteur. Les nostalgiques garderont surtout en mémoire le très beau couple formé avec Deborah Kerr.
C’est pourtant en Angleterre, en même temps qu’un certain James Mason, que Stewart Granger – de son véritable nom James Stewart – débute dans une série de films romantiques en costumes des Productions Gainsborough : The man in grey, Fanny by gaslight et Caravan, entre autres.
Après une brillante mais houleuse carrière hollywoodienne, James Stewart retourne en 1955 en Angleterre tourner Footsteps in the fog, sous la direction d'Arthur Lubin.
L'histoire se passe à la fin du 19ème siècle. Un beau et élégant gentleman, Stephen Lowry, assiste inconsolable aux funérailles de son épouse bien-aimée, sous l’œil attendri de ses amis.
Rentré chez lui, il contemple le portrait de sa femme, se sert un verre et lève celui-ci à sa santé – si on peut dire – tandis qu’un grand sourire victorieux éclaire son visage. Lily, la jeune servante de la maison est follement amoureuse de son maître. Lorsqu’elle découvre une fiole remplie d’un curieux liquide et qu’elle le teste sur des souris, elles voient celles-ci tomber raides mortes. Lily, à la fois par ambition, désir de revanche contre les autres domestiques et amour pour Stephen, va faire chanter celui-ci. Elle le contraint à la prendre d’abord comme gouvernante puis comme maîtresse des lieux. Stephen médite alors sur les moyens de se débarrasser de son encombrante maîtresse.


Commençant comme un mélodrame, baignant dans une belle atmosphère d’Angleterre de Jack the ripper, le film vire au film noir et au drame psychologique. L’originalité du film tient dans les relations ambigues entre Stephen et Lily, mélange de haine et d’amour (plus de haine pour lui, d’amour pour elle) et par le fait que les divers personnages agissent par intérêt. Lily se hâte de s’approprier les robes et bijoux de sa défunte maîtresse, David le jeune avocat, jaloux de Stephen veut exploiter à son profit les informations que lui apporte un témoin. Finalement, seule Elizabeth, amie de David mais amoureuse de Stephen, semble totalement sincère et désintéressée.
Le film contient quelques imperfections La scène du procès tourne au tragico-comique et j’ai trouvé l’humour qu’elle contient assez malvenu. La poursuite dans le brouillard souffre également de plusieurs invraisemblances, le côté enquête policière n’étant pas vraiment ce qui semble intéresser scénariste et réalisateur.
Enfin, Stewart Granger en empoisonneur n’est pas toujours convaincant.
On retiendra en fait surtout la magnifique prestation de Gene Simmons, dans le rôle de Lily, tour à tour perfide et attachante et très émouvante dans la scène finale.
On retiendra aussi la très belle photographie de Christopher Challis qui a travaillé sur quantités de films, notamment ceux de Michael Powell (Les chaussons rouges, La renarde, Le narcisse noir, Les contes d’Hoffmann…). Le film nous offre ainsi des couleurs flamboyantes, d’adroits jeux d’ombres et de lumière et une étonnante scène de poursuite dans le brouillard.
Un beau film à découvrir.

L'étrange rendez-vous: une oeuvre magnifique de Terence Young


L'étrange rendez-vous - Corridors of mirrors, film de Terence Young, 1948


Affiche L'Etrange rendez-vousCorridor of mirrors est un magnifique film anglais qui raconte l’histoire d’une jeune fille, Patricia, fascinée par un mystérieux esthète, Paul, qui l’emmène dans sa magnifique demeure hantée par le souvenir d’une belle vénitienne de la Renaissance, dont elle semble être la réincarnation.

Paul, convaincu d’avoir aimé Patricia dans une autre vie, veut revivre avec elle, à travers les fastes de la renaissance italienne, leur histoire d’amour malheureuse.

Un film beau et subtil, basé sur le jeu frémissant d’Edana Romney et sur le charisme d’Eric Porman, tour à tour inquiétant et émouvant dans sa quête de la beauté absolue, à la poursuite d’un amour disparu.
Christopher Lee fait une discrète apparition en ami de l’héroïne, si discrète que je ne l’ai pas immédiatement reconnu.
Le film marque par la belle réalisation du tout jeune Terence Young et les magnifiques jeux de lumière et plans qui baignent l’ensemble du film.
Un superbe noir et blanc où les lumières des chandelles projettent leur ombre sur les portes miroirs. Dans la grandiose demeure, on se perd, à la poursuite d’un mystérieux chat blanc, compagnon d’une femme inquiétante, à travers un dédale de portes miroirs, ouvrant soit sur des pièces, soit sur les trésors du propriétaire du lieu.
Comme l’héroïne, on se sent un peu pris de vertige. Les rapports entre les deux personnages sont subtils, ambigus. Une magnifique fête vénitienne vient ajouter à la poésie.


On regrettera la fin un peu précipitée et le fait que le film, au sujet ambitieux, aurait pu aller plus loin sur le thème de la réincarnation
Un film très beau, injustement méconnu et dont je suis ressortie émerveillée.

Carmen : « Près des remparts de Séville, chez mon ami Lillas Pastia.... »


Après avoir vu et écouté diverses versions de l’opéra de Bizet, il m'est apparu intéressant de retourner aux sources pour découvrir l’œuvre de Prosper Mérimée à travers une de ses adaptations cinéma.
Je me suis lancée d’autant plus joyeusement dans le visionnage du film que la musique de Bizet y est présente.
Dans toute la splendeur de sa jeunesse, Jean Marais incarne Don José, le jeune Brigadier qui arrive tout fier dans Séville avec la garde montante. Au milieu de l’animation de la ville, notre brigadier reste maussade, déjà nostalgique de sa Navarre natale. Son œil s’allume cependant en découvrant la maîtresse de son Lieutenant, la belle Carmen. Après être devenu l’amant de la belle gitane, José tue son lieutenant, déserte et part se faire bandit dans les montagnes. On assiste à quelques poursuites et bagarres qui donnent un peu d’action à l’ensemble sans que Jean Marais ne paraisse réellement intéressé par l’action. Je crains fort qu’il n’y ait eu là une grande erreur de distribution car l’acteur peine à convaincre dans ce rôle et le personnage, totalement dominé et guidé par son intérêt avant tout, malgré quelques gestes chevaleresques, n’éveille aucune sympathie.
En Carmen, Viviane Romance ne possède pas la sensualité de la gitane mais son jeu est assez juste. Le personnage ne cache pas ses défauts. Aucun homme ne sera son maître, elle n’aime personne, affirme-t-elle. Tout au plus répondra-t-elle, pour un temps à l’amour étouffant de Don José.


Le film ne distille cependant aucune émotion en raison du total manque d’alchimie entre les deux acteurs principaux. On retiendra tout au plus la courte scène de la mort de Lucas le toréro où Carmen verse des larmes sincères.
La scène finale est quant à elle incohérente ; on ne comprend pas pourquoi Carmen supplie José de la tuer et l’accompagne tranquillement dans la lande. Se voulant déchirante, la scène peine à convaincre car elle ne correspond pas du tout au personnage de Carmen, celle-ci ayant cessé d’aimer José. Malgré les larmes versées par les personnages, on reste assez indifférent.
Heureusement, deux acteurs sauvent le film du naufrage, donnant beaucoup de vie aux scènes dans lesquelles ils apparaissent.
Dans le rôle du bandit Garcia, « mari » de Carmen, Lucien Coedel ( qui s’illustrera surtout dans Roger-la-honte d’André Cayatte et dans Sortilèges du même Christian Jaque) domine la distribution grâce à une interprétation truculente. Poussant jusqu’à la caricature son rôle de bandit de la pire espèce, il se régale de tout évidence. La scène où accompagné de son fidèle complice joué par Bernand Blier, il se déguise en moine et dévalise les passagers d’une diligence, est savoureuse, bien que certainement rajoutée à l’histoire d’origine.
Dans le rôle de Lillas Pastia, l’ami de Carmen, aubergiste et Barbier – pas de Séville mais de Ronda -, Jean Brochard ( vu notamment dans l’Assassinat du Père Noël ) est un personnage inattendu, tour à tour sympathique et fourbe.
Le film achevé, je me dis que mieux vaut revenir au film de Francesco Rosi de 1984 où Placido Domingo et Julia Migenes Johnson nous éblouissaient de leur talent.

La plus grande aventure de Tarzan : Tarzan contre James Bond

La plus grande aventure de Tarzan - John Guillermain, 1959.

Avec La plus grande aventure de Tarzan, on est clairement ici passé à une autre époque et si notre cher Johnny W demeure dans les cœurs de beaucoup comme la véritable incarnation de Tarzan, force est de constater que l’on passe ici à une qualité supérieure sur plusieurs points. Gordon Scott endosse ici pour la 5ème fois le pagne de Tarzan. Depuis son 2ème film, Tarzan et le safari perdu, la couleur a envahi l’écran. Tourné en décors naturels au Kenya, le film nous offre une authenticité de plus en plus grande. Présentant ici une aventure moins naïve et enfantine, ce qui entrainera peut être les regrets de certains, il offre un scénario plus abouti et moins stéréotypé que les précédents Tarzan.
Le passage à la présence réelle des animaux entraîne évidemment un ensemble de contraintes. 
Finies donc les images où les héros, empêtrés dans des lianes et plantes diverses d’un jardin botanique, contemplent face à eux la savane, où, sur la grande étendue désertique, passent ou se battent les animaux sauvages.
De fait, peu d’animaux seront présents ici et si on assiste au départ à la bataille inévitable avec un crocodile, sans doute de plastique, peu d’animaux traverseront l’histoire. Même Chetah, interprétée ici par un jeune singe, est priée de rester s’occuper de la maison. On n’assistera donc pas aux tours multiples de notre guenon préférée et aux facéties entre animaux.
Le ton est donné, le film se veut sérieux, plus adulte. Tourné vers le développement des caractères des personnages, principalement de la bande de mauvais et la traque de ceux-ci par un Tarzan justicier.
Même Gordon Scott a totalement modifié son jeu
Tarzan a enfin décidé de se mettre à l’étude de la langue anglaise, en approfondissant son vocabulaire en en améliorant sa tournure de phrase. Il raconte même à l’héroïne le pourquoi de son désir de vengeance, ce que son illustre prédécesseur aurait été fort en peine de réaliser, à moins d’y consacrer une scène fort longue.
Notre héros n’est ainsi plus le naïf homme-singe des films précédents, toujours surpris de la méchanceté des hommes et réagissant instinctivement pour défendre son territoire.
Il se lance ici dans une traque du groupe de bandits, d’abord en barque, puis à pied – pas trop dans les lianes, hélas -, armé d’un arc et de flèches, prêt à tuer.
Exit également la jolie et fragile Jane qui avait à chaque film la malchance d’être enlevée soit par des tribus hostiles, soit par les méchants chasseurs blancs. L’héroïne sera incarnée ici par une courageuse aviatrice. Si celle-ci succombera finalement au charme du bel homme sauvage, elle se montre au début moqueuse et d’un caractère très indépendant. Elle prendra même le dessus sur notre héros lorsque celui-ci sera blessé lors d’une explosion déclenchée par les bandits. Elle part alors seule dans la jungle et s’introduit dans le bateau de ces derniers pour voler de la pénicilline qui aura un effet miraculeux sur Tarzan. Il est certain que la conception de la médecine par les scénaristes de Tarzan est toujours surprenante. On avait pu voir, dans Tarzan et les Soukoulous, Gordon Scott concocter une mixture qui guérissait en un éclair de la peste !! ici, la pénicilline remet sur pieds notre héros, victime d’une explosion !
Le film se centre longuement sur le groupe de bandits, menés par un Anthony Quayle, excellent, que l’on a rarement vu dans des rôles de méchants. Un de ses comparses, passablement excité est le tout jeune Sean Connery (d'où le titre de la critique !) que l’on découvre ici avec plaisir. Cette part du film, qui permet d’approfondir les caractères des personnages, semblera parfois un peu longue. De fait, on perd pendant un bon moment notre héros de vue.
On notera aussi une belle bagarre finale au bord d’une falaise, occasion pour notre héros de lancer enfin son fameux cri.
Une aventure de Tarzan à découvrir.


La terre des pharaons : Grandiose et pharaonique



La terre des pharaons - Howard Hawks, 1955



Le Pharaon Khéops rêve de se faire ensevelir à sa mort, entouré de toutes ses richesses, dans la plus grande pyramide jamais construite. Il demande à l’esclave-architecte Vashtar de concevoir une sépulture inviolable et promet en retour de libérer son peuple asservi. Khéops tombe amoureux et épouse la belle Princesse Nellifer qui, pour conquérir le trône, va combiner la mort du petit prince héritier puis de son mari, avec l’aide de son amant le capitaine de la garde.
Dans le rôle du Pharaon, Jack Hawkins, peu encore connu à l’époque, devait accéder à la notoriété avec deux grands rôles, celui de Quintus Arrius, père adoptif de Ben Hur et du Commandant Warden, chef de l’expédition chargé de faire sauter le Pont de la rivière Kwai. Joan Collins, à seulement vingt et un ans, semble encore un peu novice.
Dans le rôle de Vashtar, l’écossais James Robertson Justice semblera familier à beaucoup ; il a en effet prêté sa carrure de colosse à de nombreux seconds rôles des films d’aventures, La flibustière des Antilles, Capitaine sans peur, Moby Dick ou encore Robin des bois et ses joyeux compagnons (où il interprète Petit Jean).


La terre des pharaons ne possède ni la longueur ni le côté verbeux du colossal Cléopâtre de Mankiewicz. Sa durée est ainsi plutôt réduite - 1h45 - pour un film du genre ayant entraîné des moyens matériels, humains et financier colossaux. Pour mémoire, Cléopâtre dure plus de 4 heures.
On en retrouve cependant toute la splendeur, certains diraient le kitsch : couleurs, décors et costumes sont admirables.
Décidé à battre Cecil B De Mille pour la figuration, Howard Hawks recruta et rémunéra 15 000 extras. Il fit homologuer son record.





Le film vaut surtout pour son admirable final qui reste dans les mémoires, celui de l’ensevelissement dans la grande pyramide où un astucieux système de sable s’écoule, déplaçant les blocs qui vont sceller la pyramide. Ce morceau de bravoure est une des grandes scènes du style et provoque à distance un certain sentiment de claustrophobie. On admirera la sérénité des prêtres prêts à mourir pour leur pharaon et la déconfiture de la perfide héroïne.



L’histoire du tournage a donné lieu à un délicieux ouvrage Hollywood sur Nil de Noël Howard, le réalisateur de la deuxième équipe, qui raconte le tournage épique du film. Je me souviens d’avoir lu ce roman il y a pas mal d’années.
Deux anecdotes me sont notamment restées en mémoire :
Lors de la scène où la méchante Nellifer va faire mourir le petit prince à l’aide d’un serpent venimeux, l’équipe technique avait installé des fils pendant des cintres permettant de filmer d’en haut et de se réfugier hors de portée du serpent. Comme le souligne avec humour Noël Howard, il y eut beaucoup de monde dans les cintres durant le tournage de la scène.
Dans la scène du combat avec le taureau, l’équipe se trouva aux prises avec l’animal furieux qui encorna à plusieurs reprise leur cabine de montage, la traîna sur le sol, éjecta plusieurs machinistes, envoya Jack Hawkins la tête en bas dans le sable, puis suite à l’administration d’un tranquilisant, tomba profondément endormi sur le sol.
La terre des pharaons fait partie des grands péplums de l’âge d’or d’Hollywood… sans doute un des plus réussis du genre.

Hugo Cabret : "Quel est donc l'homme à notre époque qui pourrait vivre sans féerie, sans un peu de rêve ?"

  Hugo Cabret - Film de Martin Scorsese, 2011. On sait le Réalisateur Martin Scorsese amoureux du cinéma, par sa carrière bien sûr mais égal...