Le ciel peut attendre : Ascenseur pour le Paradis.

Le ciel peut attendre - Film de Ernst Lubitsch, 1943.

Dans un bureau immense est installée son Excellence, le Diable en personne, qui accueille les nouveaux venus pour leur indiquer leur destination finale. L’ascenseur les conduira soit en haut, vers le Paradis, soit en bas vers les enfers. Un vieil homme, Henry Vancleve, se présente et raconte sa vie bourgeoise, frivole, dominée par son amour des femmes, mais surtout de sa femme, Martha.



Le film se déroule sous la forme d’une chronique présentant divers moments de la vie d’Henry lors de ses anniversaires les plus marquants.
Inexorablement, le temps passe, parsemant de cheveux blancs et ridant l’éternel séducteur. Arrivé à ses 50 ans, il s’interroge. Peut-il encore séduire ?
Le temps passe encore, l’entrainant jusqu’au terme de sa vie, qu’il quittera sur un sourire et après avoir profité d’un dernier délicieux repas d’Anniversaire.





Personnage frivole et menteur, Henry éveille cependant dès le début du film la bienveillance du spectateur. Lorsque vieillard, il se présente humblement à la porte des enfers, il déclare que sa vie entière n’a été qu’une faute mais il ne sera peut-être pas accepté aux enfers et n’ose pas se présenter à la porte du Paradis. Les mensonges du personnage sont maladroits, ses infidélités et tentatives de séduction ne vont guère loin, tout le ramenant à sa femme.
Et lorsqu’à la mort de celle-ci, il se sent seul et sort se distraire toutes les nuits, la simple vision d’un ouvrage de la bibliothèque le ramène à ses souvenirs et le rend honteux d’avoir seulement pensé qu’il pourrait oublier sa chère Martha.
Dans le rôle d’Henry, Don Amèche est parfait, interprétant de façon convaincante le personnage à tous les âges de sa vie d’adulte.
Don Amèche a eu une carrière d’une longueur exceptionnelle ; de 1935 à 1954, il tournera une quarantaine de films avant une traversée du désert durant les années 60-70.
Suite à Un fauteuil pour deux de Landis (1983) puis Cocoon de Ron Howard (1984), sa carrière sera relancée, à 75 ans et il tournera films et téléfilms jusqu’à sa mort en 1993.
Quant à Gene Tierney, quel plaisir de la voir si radieuse en couleurs, la plupart de ses rôles marquants étant dans des films tournés en noir et blanc (Laura, Le fil du rasoir, L’aventure de Mme Muir, Les forbans de la nuit, Marc Dixon détective…),



Son vieillissement est bien moins réussi, la cinquantaine s’affichant pour elle par une coiffure improbable parsemée de cheveux blancs, des vêtements plus sages et une attitude un peu guindée.
Tout ceci est heureusement bien vite oublié dans la belle scène où les deux époux valsent, conscients de vivre là le moment le plus heureux de leur vie.
Outre nos deux héros, le personnage le plus remarquable est celui du Diable, incarné par Laird Cregar, appelé Excellence. Son personnage est très affable et sympathique. On le comprend quand il fait disparaitre dans les enfers une vieille enquiquineuse, au moyen d’une trappe escamotable et on se doute de la réponse finale qui sera donnée à Henry.
On pourra reprocher au film d’être parfois un peu bavard et assez statique, notamment dans sa première partie, jusqu’au mariage de ses deux personnages principaux. Le film est en effet l’adaptation de la pièce Birthday de Leslie Bush-Fekete. De fait, à deux exceptions près (le parc et la rue dans laquelle Henry se met à suivre Martha après l’avoir aperçue dans un magasin), toutes les scènes se passent en intérieur.
L’ensemble reste sage, assez peu enlevé, manquant peut être d’un rien d’audace qui romprait la ligne droite de la destinée du personnage.
Le dénouement final scellant le destin d’Henry dans l’autre Monde ne surprendra donc pas.


Le spectateur sourit, amusé et ému par le personnage qui renvoie aux défauts de l’être humain. Le Diable lui-même sourit car il a tout de suite cerné le personnage.
On retiendra enfin le magnifique technicolor qui nous permet de voir les beaux yeux bleus de Gene Tierney, la beauté et les couleurs chatoyantes des tenues et décors du début du siècle.
Un beau film à découvrir.

Les araignées : Du Temple du soleil au Lotus bleu

Les araignées - Film de Fritz Lang, 1919.

Les films muets peuvent souvent paraître assez rébarbatifs à une grande partie du public d’aujourd’hui. De fait, exceptés les films burlesques – notamment ceux de
Chaplin -, qui se passent plus facilement de son, car basés sur des gags très visuels, la plupart des films muets sont aujourd’hui totalement oubliés. Dépourvus de sons, ces films doivent tout faire passer par l’image : des expressions faciales, des bruits et une histoire réduite en explications. Afin que l’histoire soit compréhensible, des cartons reproduisant certains dialogues ou donnant des explications indispensables à la compréhension, sont insérés. Comme ceux-ci ne doivent pas trop alourdir l’oeuvre, l’image se doit d’être la plus explicite possible. Les expressions des personnages sont alors exacerbées, les scènes longuement filmées pour imprégner le spectateur. Tout ceci nécessite d’être compris et accepté afin que le public d’aujourd’hui puisse être accroché. 
Les araignées est le premier grand film de Fritz Lang, présenté sous la forme d’un diptyque, comme le sera plus tard Le tigre du Bengale, suivi du Tombeau hindou. Les deux précédentes œuvres du réalisateur, tournées en la même année, La métisse et Le maître de l’amour, sont considérées comme perdues.


Episode 1 : Le lac d’or
Le prologue montre un vieil homme épuisé aux vêtements en haillons, jetant une bouteille à la mer du haut d’une falaise, avant d’être abattu d’une flèche par un indien. Durant une course de yachts, le riche aventurier américain Kay Hoog, trouve le message et le montre à ses amis lors d’un banquet. Le message indique la localisation d’un trésor inca et notre aventurier décide de se lancer sur les traces de l’explorateur perdu et de sa mystérieuse quête au trésor au Pérou. Cependant, parmi les convives, se trouve une mystérieuse jeune femme, Lio Sha – aux origines indéterminées – qui se révèle être le chef d’une organisation criminelle, Les araignées. Ces bandits vont à leur tour courir après le trésor et après notre héros.
A mi-chemin entre un Tintin et un Philéas Fogg, Kay Hoog part donc à l’aventure ; il se fait attaquer par des bandits, s’enfuit à cheval puis en ballon et après diverses péripéties finit par arriver au Temple du soleil, ou du moins chez les incas. Le tout se déroule à un rythme très soutenu, peut-être même un peu précipité et échevelé.


Episode 2 : Le cargo aux diamants
Après Tintin au temple du soleil, nous voilà au Lotus bleu. Kay est à la poursuite de Lio Sha qui a fait assassiner sa bien-aimée. Une grande partie de l’histoire se situera à Chinatown. L’ensemble se révèle beaucoup moins passionnant que la première partie, et souffre parfois de certaines longueurs et confusions, notamment lors des conciliabules de la société secrète. Il semble aussi manquer quelques morceaux car on assiste à des raccourcis saisissants. L’épisode se suit cependant avec intérêt et réserve son lot d’aventures.

Côté distribution, on découvre, dans le rôle de Kay, l’acteur allemand Carl de Vogt, bel homme au visage sévère, qui avait déjà joué dans les deux premiers films perdus de Fritz Lang ; il tournera dans une quarantaine de films muets puis passera aux seconds rôles dans une petite dizaine de films jusqu’au milieu des années 50.
L’autrichienne Ressel Orla – Lio Sha - qui avait elle aussi déjà participé au premier film de Lang, apparaitra dans une soixantaine de films jusqu’en 1929, avant de disparaitre à l’âge de 42 ans à peine. 


On notera enfin, dans le court rôle de Neola, la prêtresse du soleil de la partie 1, l’actrice Lili Dangover, qui traversera, quant à elle 60 ans du cinéma allemand, notamment les films de la période allemande de Fritz Lang, comme Le cabinet du Dr Caligari, Les trois lumières et Le Docteur Mabuse. Sa dernière apparition sera dans Légende de la forêt viennoise de Maximilien Schell en 1979.

Les Araignées, sans avoir la splendeur du Tigre du Bengale et du Tombeau hindou, se suit avec intérêt et peut être recommandé à ceux qui veulent découvrir le cinéma muet. Il est certainement le précurseur de nombreux films d’aventures qui sauront en prélever les ingrédients indispensables – poursuites, enlèvements, expédition dans une cité perdue, histoire d’amour et de rivalité -, tout en en gommant les imperfections. Précisons enfin que le film est tiré de l’unique roman de Fritz Lang , paru sous forme de feuilleton à Berlin, en 1919. C’est aussi sous la forme de plusieurs épisodes que l’adaptation a été conçue. Seuls les deux premiers volets – sur les quatre prévus – seront tournés, ce qui explique certainement la fin assez abrupte du film.

Lumière ! L'aventure commence : Les Frères Lumière et l'art du cinéma


Affiche Lumière ! L'aventure commence
Lumière ! L'aventure commence - Documentaire de Thierry Frémaux, 2017.

La belle villa de style Art nouveau d’Antoine Lumière et de sa famille domine la place de Montplaisir à Lyon. Indifférente aux changements de la ville et à la frénésie de la circulation qui la borde, elle conserve précieusement l’héritage de la famille Lumière et de ceux qui travaillèrent avec eux pour expérimenter les multiples techniques du cinéma naissant. On sait que la paternité du cinéma a été contestée à Auguste et Louis Lumière, divers procédés ayant parallèlement vu le jour, notamment aux USA avec Edison. Qu’ils aient été ou non les premiers a finalement peu d’importance quand on contemple toutes les techniques expérimentées et tous les thèmes traités. On a l’impression, en pénétrant dans la villa devenue musée ou en parcourant le jardin, de revenir plus d’un siècle en arrière et de plonger dans l’histoire du cinéma et dans l’Histoire elle-même.

Le Hangar du 1er film où Louis installa sa caméra le 19 mars 1895 pour tourner le célèbre film de 50 secondes, Sortie d’usine, est devenu salle de cinéma. Chaque année, au cours du festival Lumière, les plus grands réalisateurs viennent poser leur caméra au même endroit pour tourner leur propre Sortie d’usine.
Thierry Frémaux, Directeur de l’Institut Lumière, propose dans Lumière, l’aventure commence, un montage de 108 films de 50 secondes, magnifiquement restaurés, tournés entre 1895 et 1905.
Découpé en 10 chapitres plus un épilogue, le film est organisé en thèmes, permettant de balayer toute l’œuvre des Frères Lumière et de leurs opérateurs.
Parmi les plus connus, on retrouve l’ensemble des films de famille ou de ceux tournés sur Lyon, sur les bords de Saône, à la gare de Perrache, sur la Place des Cordeliers et la Place Bellecour. On est surpris de voir combien les lieux ont parfois à peine changé ; les passants nous semblent vivants.



Les commentaires de Thierry Frémaux, accompagnés tout au long du film par la musique de Camille Saint Saens, expliquent avec clarté l’art du cinéma qui voit ainsi le jour au fil des diverses scènes : travellings avant et arrière, trucages, remakes, profondeur de champ et diagonales. Ils semblent avoir tout inventé.
On retiendra aussi des scènes exceptionnelles tournées dans divers pays lorsque l’équipe prit son envol à travers le monde.
De belles images de New York en 1895, des rues de Moscou dans la Russie des tsars ou encore un étonnant combat entre chevaux et canards dans une rivière du Mexique.



La caméra se plante à de multiples endroits pour saisir tout un ensemble de scènes d’un autre temps, mettant en scène ou saisissant sur le vif des personnages de toutes sortes : chasseurs alpins en exercice, défilé de nourrices, ouvriers au travail… Voir s’animer et bouger les personnages est émouvant. On sourit et on rit aussi souvent à voir des scènes cocasses, des personnages qui surjouent et des événements inattendus.
Un film très riche dont on ressort émerveillé avec le sentiment d’avoir vu des moments exceptionnels d’un autre temps.
Une magistrale leçon de cinéma et un témoignage rare sur l’aube du XXème siècle.

L'arroseur arrosé et autres films : Ma première séance Lumière au Musée des Confluences de Lyon

Affiche L'Arroseur arrosé
L'arroseur arrosé et autres films - Court-métrage de Louis Lumière, 1895. 

Le Musée des Confluences de Lyon accueille depuis plusieurs mois une grande exposition « Lumière ! Le cinéma inventé ». Y sont présentés les techniques, matériels et réalisations des Frères Lumière. Je m’y suis donc précipitée.
Parcourant les divers espaces, j’arrive dans une grande salle au milieu de laquelle trône un joli pavillon de style indien, doucement éclairé de lumières bleues et roses, fermé par des rideaux. Ecartant intriguée un rideau aux motifs floraux, je pénètre dans une confortable salle de cinéma aux chaises de velours rouge et aux lustres diffusant une belle et claire lumière.




La voix de Michel Piccoli nous accueille pour la première séance payante de l’histoire du cinéma qui coûtait à l’époque 1 franc (J’ai dû débourser 9 € mais je suis restée plus de 3 heures à voir les diverses expositions du Musée).


J’assiste alors, séduite, à la séance qu’organisa la Famille Lumière le 28 décembre 1895, dans le salon indien du Grand café de Paris. 35 spectateurs assistèrent ce jour-là, médusés, à la séance. Quelques semaines plus tard, le bouche-à-oreille ayant diffusé la nouvelle, plus de 2 500 billets sont vendus chaque jour.


Bruit du projecteur, petit arrêt annoncé au changement de pellicule, introduction de chacun des films, tout est fait pour nous replonger dans l’atmosphère et nous faire vivre de façon précise les moindres détails de la séance. La voix semble si proche et vivante qu’il semble que le présentateur soit assis à côté de nous pour nous présenter le programme puis introduire chacun des 10 films d’une durée de 30 secondes à 1 minute.
Le film de l’arroseur arrosé déclenche les rires du public et il est réconfortant d’entendre les rires et exclamations des enfants de la salle…plus de 100 ans après et devant un jeune public gavé d’images de synthèse et d’effets spéciaux, le gag fait encore mouche.



Dans Le repas de Bébé, la petite Andrée Lumière, soigneusement nourrie par ses parents Auguste et Marguerite, nous sourit à travers le temps, heureuse et complice. Elle brandit un biscuit, familière de la caméra tenue par son Oncle Louis. Dans un autre film, elle tente d’attraper un poisson dans un bocal. Comme elle n’y met pas assez d’entrain, son Père la secoue doucement.




Ces diverses petites scènes de la vie quotidienne sont simples, pleines de fraîcheur, les acteurs amateurs s’en donnent à cœur joie ; ils sourient, rient et surjouent, ce qui les rend proches et vivants,par-delà les âges.

Sortie du pavillon, j’arrive devant un mur monumental de 16 m projetant en continu les 1.422 films Lumière tournés entre 1895 et 1905 et présentés grâce à une multitude de petits écrans. Je suis saisie de vertige.
Des fâcheux m’ont déjà rétorqué que les Frères Lumière n’avaient pas réellement inventé le cinéma… d’accord.. mais quand vous contemplez le mur des 1.422 films présentant des scènes diverses tournées dans tous les pays…qu’un peu plus loin vous rentrez dans une pièce de projection de vues à 360 ° et qu’en fin d’exposition, vous voyez un film tourné en relief…vous vous dites qu’ils y ont quand même contribué fortement. Vous ne croyez pas ?

Le vampire a soif : Méfiez-vous des papillons

Le vampire a soif - Film de Vernon Sewell, 1968.

Dans la jungle, un explorateur, fusil en main se fraie un passage dans la végétation, guettant les animaux et à l’affut des moindres bruits. Il tombe en arrêt devant une plante à longues feuilles et se met à herboriser. On se doute que quelque chose va arriver à notre pauvre explorateur…mais non, ce ne sera pas pour tout de suite. Par un raccourci saisissant, nous nous retrouvons dans la paisible campagne anglaise, qui va se révéler finalement plus dangereuse que la jungle. En effet, plusieurs crimes affreux viennent d’être commis, les victimes étant vidées de leur sang.
L’Inspecteur Queunell (à prononcer avec un accent anglais, sinon vous allez rire) se précipite sur les lieux. Le Professeur Mallinger, entomologiste,  a justement une demeure à proximité ; il y accueille ce soir-là un groupe d’étudiants pour une conférence privée. Et oui, il y a des profs qui font cela !!



Cependant, parmi les étudiants se dissimule un petit farceur qui glisse une fausse araignée dans le corsage de la jeune fille de la maison qui s’évanouit de terreur.
Cette mauvaise plaisanterie lui vaudra d’être aussitôt chassé des lieux et hélas de tomber, victime à son tour du mystérieux prédateur.
La présence de Peter Cushing dans un film est la garantie, pas forcément de la grande qualité du film, mais d’une histoire à rebondissements.
L’acteur met toujours la plus grande conviction à poursuivre créatures et monstres divers : momies, gorgone, vampires, chien des Baskervilles.. Parfois victime des monstres qu’il pourchasse, parfois basculant du côté des savants fous créateurs de monstres, mais toujours impliqué et charismatique. On s’attend à voir surgir son vieil ami Christopher Lee en vampire, haute silhouette, sourire inquiétant et habit impeccable. Et bien non, car notre prédateur n’est pas un vampire classique, les capes et chauve-souris ont été remisées. Comme l’histoire se passe près et dans la demeure d’un savant entomologiste, on se doute un peu du type de monstre attendu.
A la moitié du film, on verra réapparaitre notre explorateur du début, que l’on avait complétement perdu de vue et qui, suite à sa lointaine expédition, revient, hélas, se jeter à son tour dans la gueule du loup.
Les effets spéciaux étant assez réduits, comme certainement le budget de cette petite société de production de films d’horreur, Tigon Film British Productions, il ne faut pas s’attendre à des effets de grande envergure ; de fait, la créature vous fera certainement rire.


Comme toujours cependant dans ce type de film, on ne s’ennuie pas. La durée assez brève et les multiples péripéties permettent de maintenir jusqu’au bout l’intérêt malgré le manque de développement des personnages et certaines invraisemblances.

Hugo Cabret : "Quel est donc l'homme à notre époque qui pourrait vivre sans féerie, sans un peu de rêve ?"

  Hugo Cabret - Film de Martin Scorsese, 2011. On sait le Réalisateur Martin Scorsese amoureux du cinéma, par sa carrière bien sûr mais égal...